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J’ai envie d’écrire et il fait beau. Ca ne matche pas ensemble. Je ne possède pas de jardin pour écrire au soleil ou mieux à l’ombre du soleil. En revanche je dispose d’une vue assez plongeante sur la ville et elle me fait de l’oeil. A chaque fois c’est pareil, je trouve facilement quelque chose pour faire diversion. Sans doute parce-que ce n’est pas honnête, je n’ai pas vraiment envie d’écrire ou pas suffisamment. Ca ne se formule pas comme ça. Il arrive juste un moment où les choses doivent s’écouler parce-que je ne parviens plus à les contenir. Et je parle du corps. Simplement du corps. De la charge et du poids qu’il peut supporter, des signaux qu’il m’envoie et qu’il faut décrypter. Et puis je ne sais pas écrire la nuit même si quelquefois sous la lune elle se déplie et remue. Je me réveille tôt la plupart du temps pour aller travailler et le soir venu, entre les draps, j’ai ce besoin de lire longuement jusqu’à épuisement et de glisser ailleurs. Le week-end, il suffit de faire la sourde oreille. Alors je vais dégringoler depuis mes collines jusqu’au point de chute et perdre un peu les traces. Une sorte de jeu de pistes avec pour principe d’écarter la mémoire, d’échapper aux souvenirs. Encombrant ça aussi à la longue. Surtout dans cette partie de l’est parisien où je vis depuis plus de vingt ans. En plus de la caresse du soleil sur la nuque, je crois que j’ai envie de quelque chose de neuf. Et si je suis géographiquement haut perchée, il va de soi que je ne suis pas à la hauteur du jardin convoqué. Je finirais fatalement dans un hamac à contempler le bleu du ciel dont l’inconstance me laisse quand même la possibilité d’un espace ou d’une marge. Hier je n’ai donc rien écrit de ce qui remontait à la surface ces derniers jours jusqu’à en devenir vaguement obsédant. J’ai préféré faire naufrage avec ma fille sous les fleurs et les herbes hautes du jardin en cascades. L’été indien comme un retour de flammes. C’est assez mainstream de parler de soi dans le sillage, l’écume des vagues du Pacifique. A la faveur des témoignages de ces femmes qui déroulent toutes un peu le même scénario. Au delà des faits, cet empêchement à dénoncer et la peur de ce qui aurait pu mettre en péril ou anéantir leur travail. Ménilmontant-Hollywood. D’une colline à l’autre. Les relier quelquefois quand c’est possible. Ta soeur dans le coeur bouillonnant puisqu’elle travaille là-bas dans l’industrie du cinéma et toi bien plus modestement ici. Parce-qu’à vingt ans on ne possède pas les armes nécessaires pour dégainer. On se barre, on se tait, parfois on négocie, en général on abandonne et on essaie de ne plus y penser. Parce-que le temps est nécessaire pour s’affirmer et s’affranchir progressivement de la peur, des regards et des conventions. Du temps aussi pour apprendre à énoncer clairement les limites et transformer ce qui a pu fragiliser en quelque chose de solide, de direct et de libre. Tandis que les moeurs se nourrissent des médias pour accélérer le processus, poser un cadre juridique et libérer une parole demeurée contenue. Aujourd’hui je refuse cette forme de culpabilité et de honte qui ne m’appartiennent pas, ne m’ont jamais appartenu mais ont blessé mon corps et ma psyché. Rien d’absolument terrifiant, nous ne sommes pas exactement dans un conte à manipuler du symbole, enfin pas loin quand même. Il ne s’agit pas d’un évènement qui soudain modifierait le cours de ta vie presque adolescente. Mais il s’agit bien d’une liste, d’une succession d’évènements qui auront posé leurs empreintes les unes après les autres sans trouver d’autre lieu pour s’abriter que celui de la chaleur et du feu de ton ventre. Parce-que nous en conviendrons tous, c’est abject et révoltant de se servir de sa force physique ou de sa position hiérarchique pour contraindre ou proposer quelque chose de cette nature. Ton ventre aura vu grandir trois enfants, ton ventre tu voulais qu’il fleurisse. Ca a commencé tôt la violence. Une affaire de gosses. La première fois, c’est un coup de poing, une droite direct dans l’estomac. Tu es en 6ème à Rennes dans une salle de cours presque vide, le souffle est coupé, la douleur fulgurante. Vous êtes dans la même classe, il te harcèle un peu en amateur, tu as du l’envoyer gentiment balader. Tu es très bonne élève, à part ça tu n’oses pas grand chose. La vulnérabilité ultra visible malgré tes efforts pour dissimuler. L’année suivante même ville mais tu as changé de collège, rien à voir avec l’incident précédent, d’ailleurs tu ne te souviens pas d’en avoir parlé, tu as simplement déménagé encore une fois. Il est grand, baraqué, rouquin, son apparence et ses manières sont brutales. Il s’appelle Jean Michel D. tu te souviens de son nom intégralement, tu pourrais le balancer ici juste pour le dire. Quelque chose te retient encore, son âge sans doute, un contexte social ou familial difficile probablement. Il te harcèlera pendant trois ans, il est scolarisé dans ton collège, prend le même bus que toi pour rentrer et dans l’enceinte de l’établissement, sur le chemin, dans les transports, il n’aura de cesse de chercher à plaquer ses mains sur toi, enfin essentiellement tes seins, tes fesses, ton sexe et sa bouche sur la tienne. Tu ne laisses rien faire sans te défendre mais nettement plus fort que toi, il t’oppresse. Tu voudrais cracher sur son visage, oui tu aimerais pouvoir le faire aujourd’hui. Un jour il parviendra à te dénuder en partie dans les couloirs du collège, sous les yeux de deux ou trois camarades, avec cette conscience très vive qu’ils te regardent sans intervenir. Il parvient à poser ses doigts un peu plus loin sur la peau, je me débats comme je peux, je ne sais pas si je crie, je tente surtout de me sortir de là, de m’arracher à tout ça, à cette humiliation d’être observée aussi. Ca ne dure pas bien longtemps, l’interclasse du midi, un adulte, prof ou surveillant passe finalement par là, ils filent en entendant ses pas. Je me rajuste sans rien dire. Pendant trois ans, je vivrai en permanence avec cette angoisse en boule à l’intérieur. Impossible de me souvenir si je me confiais à cette amie proche, je pense que oui et me connaissant si c’est arrivé, j’ai minimisé, j’ai fait la brave comme d’habitude quand je tremble. Progressivement je décroche un peu dans certaines matières, me réfugie dans les livres et l’imaginaire. Au collège je ne suis pas en sécurité, chez moi j’ai tout ce qu’il faut en apparence mais la parole ne suit pas, motus et bouche cousue, il faudra du temps pour découdre. Survient un épisode plus trash quand je vis à Bordeaux, 18 ans à peine et je frôle quelque chose de vraiment dangereux. J’ai du sang-froid étonnamment, j’use de psychologie et parviens à m’en sortir sans y laisser de plumes. Il se fait appeler Francis, c’est un ancien détenu, ce n’est pas son vrai nom, juste le temps de fouiller dans ses papiers avant de me réfugier dans le studio que j’occupe, non loin de la place des Victoires. C’est le petit matin, sa lumière me traverse. Je songe à porter plainte mais la peur des représailles est plus grande. Je rejoins vite Paris. Quelques mois plus tard, je suis à Cannes pour une dizaine de jours. J’accompagne une amie et nous dormons dans cette immense villa louée par un magazine culturel, devenu quotidien à la fin des années 80 pour la durée du festival. Un soir cet homme que tu connais à peine, qui réalise, produit, écrit, te plaque contre un mur, tente de t’embrasser, de te toucher, tu dis non, les cris sont étouffés, tu as juste le temps de paniquer quand l’hôte des lieux survient en te sauvant la mise. Tu reprends tes esprits, ton souffle et ta colère. Tu es une jeune fille sauvage et réservée, tu ne te jettes pas dans la gueule du loup mais tu fréquentes ce milieu-là comme celui de la nuit. Alors oui tu portes quelquefois des minijupes parce-que tu as vingt ans et fais que ce qui te plaît mais avec qui te plaît. Quelques années plus tard tu es embauchée comme assistante par un journaliste de renom et chargée de mission au sein d’une fondation culturelle. Tu es peu expérimentée mais tu tentes vraiment, avec tes ailes et ton enthousiasme, d’apprendre et de combler ton manque d’assurance. Tu t’aperçois assez vite qu’il ne t’offre pas ce job uniquement pour tes fragiles compétences mais qu’un échange de services est insidieusement suggéré. L’homme est plutôt brillant sur un plan intellectuel, la réthorique et la culture te séduisent mais jamais au point de songer à basculer physiquement. Il est marié, tu es amoureuse ailleurs et surtout il ne t’attire absolument pas. Alors tu repousses les mains baladeuses qui s’attardent sur les cuisses ou la poitrine lors de déjeuners interminables dans les brasseries de Neuilly. Tu souffles sur la nausée qui s’invite à chaque fin de repas quand il s’octroie cigare et digestif. Un soir, vous travaillez tard, les autres sont partis, il essaie de t’embrasser, c’est assez brutal et franchement écoeurant, tu te dégages et rentres chez toi. Le lendemain, il t’ignore tout simplement, tu es là mais désormais tu n’es plus visible et seule avec tes projets en cours qui te seront retirés un à un, pour être confiés à une stagiaire. Beaucoup plus chaleureuse et coopérative, il ne s’en cachera pas. Tu ne tiendras pas longtemps, il te baisera autrement, contractuellement, aucune indemnité possible, tu penses au prud’hommes mais tu as moins de trente ans, un enfant et d’autres projets en tête. Passe la colère et puis basta. Ce que j’évoque ici, ce sont les évènements les plus marquants qui me sont arrivés entre 11 et 28 ans. Je ne parviens pas à dire traumatiques, ce refus de paraître victime. Le viol n’a pas eu lieu mais ce sont bien des agressions contre lesquelles j’ai du me défendre, qui ont eu un impact et ont changé la donne. Etrangement je ne me souviens pas des mots, ni des miens, ni des leurs. La mémoire se tenant toute entière dans le corps. Dans sa capacité de dédoublement aussi, quand l’adrénaline devient envahissante, je déserte mon corps et je loge dans ma tête. Cette liste est non exhaustive, j’ai été confronté à un nombre incalculable de prédateurs. Et progressivement me suis formé au combat. Le combat continue. Il y a beaucoup à faire sur ce terrain-là. Ma dernière expérience relève de la sphère intime, je la dois à un ex petit ami. J’ai toujours noué des histoires avec des hommes sensibles à la cause féministe voire engagés bref très éloignés d’une identité machiste.  Il fallait une exception et ne pas valider la case sexe (car c’est un peu dingue je sais bien mais il m’arrive quelquefois de tomber de sommeil ou même d’avoir envie d’autre chose au lit avec un homme) aura révélé un comportement stupéfiant au 21ème siècle. L’idylle comme l’été n’y ont pas survécu. 

4 Comments

  1. Somptueux texte, honnête & généreux !~ J’adore te lire, Fille des-astres !~

  2. Oh merci !

  3. Trop rares sont les textes que tu nous offres. Trop rare sont l’acuité, la violence, la musique de tes phrases. Ce texte-là, sans emphase, sans tragédie, mais simple et direct et pudique dit tant de choses qui vont au-delà des faits….
    Il fait de nous les confidents d’un moment, avec le soleil de cet été indien, avec la tempête noire des souvenirs qui a laissé ses griffures sur ta peau.

  4. Touchée, merci Chris


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