Que dire encore sur lui qui n’a déjà été dit. Absolument rien. Et peu importe qu’il s’agisse des souvenirs flous d’une fille de 15, 20, 30 ou 50 ans. Puisque cette fille c’est toujours la même au fond. Pleine de musique et de mots en vrac. De rêves de valses et de mélodies. En 1990 vu de l’extérieur, j’ai un peu plus de vingt ans, les yeux bleus, quelques tâches de rousseur et les dents du bonheur. En 1990 j’ai un enfant comme un accident ravissant, non prémédité mais désiré. Éperdument. Pour plein de mauvaises raisons mais on s’en fout un peu maintenant. Pour réparer, amarrer ce qui en moi s’écoule, fugue et dérive. Pour transformer la mélancolie en un éclat quelquefois radieux. En 1990 je travaille plusieurs semaines d’affilée à l’hôtel Verneuil St Germain juste en face de chez Gainsbourg et le croiser me plonge dans un abîme où se mêlent extase et sidération. Bambou vient télephoner depuis la réception pour qu’on lui ouvre la porte du 5 Bis dont elle n’a visiblement pas les clefs. Jane, Kate et Charlotte se relaient chacune à leur tour dans un ballet gracieux de paniers et d’accents anglais. Je me morfonds matins et après-midis dans cet hôtel chic de la rive gauche entre deux arrivées et autres check-in check-out de couples illégitimes ou de touristes japonais. Me perds dans la contemplation des murs tagués de l’hôtel particulier dont j’arpente en songe les couloirs recouverts de noir. Alors Gainsbourg la seule fois où je l’approche vraiment, de si près que je peux entendre mon coeur battre comme un tambour un soir de 14 juillet, de si près que j’en tremble en essayant maladroitement de tenir mon verre et d’allumer ma clope mentholée. Ce qui me trouble c’est la timidité persistante qui se dessine en filigrane. Malgré le parcours de dingue, malgré le sublime, les vertiges, le doute et les gouffres. Planquée sous la provocation qu’il vient de dégainer en public, en petit comité elle revient hanter son visage, parcourir les mains, les yeux, la bouche pour se planter dans un sourire qui ravive instantanément celui du petit Lucien Ginsburg. Et c’est émouvant et beau dans mes souvenirs flous, comme la délicatesse si fine de ses portraits à l’encre de Chine. https://www.youtube.com/watch?v=l86CKCllUiU&fbclid=IwAR2Wa4vaNTCYioO7hrlk_VY6P_qTI3Iz6loS-VE8L0px-f4MTZAGdJzOcns
je peux y lire les descriptions précises de chaque piste
elles débordent de vie d’exil de joie de mélancolie
de quoi étancher la soif
– summer atmosphere – quiet wind in trees and atmosphere just before dawn, distant aircraft – 1980 (1B8 , reprocessed) (technical note – to be used at low level) – Hampstead Heath winter afternoon with coal tit, long tai ed tit, blue tit, nuthatch, robin, goldcrest, crow, distant dogs – birds & backgrounds: churchyard, night, owls hooting, clock strikes 12 midnight at 14” – street restaurant, Venice – exterior, busy with chat, footsteps, sounds of tables being moved and clinks – Train interior – sound of cutlery from restaurant car adjacent (recorded on the « Train of Death » made famous by Butch Cassidy and the Sundance Kid)
je suis en Nouvelle Angleterre ou à Buenos Aires en 1973
J’écoute le chant de ces toutes petites âmes qui ne sont plus qu’échos lointains sur les branches
J’écoute des battements de coeur autrefois dévorés d’amour et de solitude
j’entends des portes qui claquent et les pas des amants égarés dans des hôtels en ruines
J’entends des chuchotements et des rires etouffés disparus à jamais de la mémoire de chacune de ces trois jeunes filles
j’écoute les mouettes folles et les dockers accablés de soleil dans un port aujourd’hui endormi et sans charme
il n’y a que le son et l’image soudain éblouissante de nos ombres dans les rues de Paris au printemps
je lui ai dit l’autre jour que je pourrais rester longtemps cachée dans le velours de sa barbe
y prendre refuge et demander l’asile politique il vit très loin d’ici dans une ville immense recouverte de neige son absence de sourire me réchauffe incroyablement quand j’ai trop envie de l’embrasser je pourrais tout aussi bien casser deux ou trois gueules
et lorsque je suis fatiguée de construire des phrases en anglais
je fabrique des selfies en rafales comme d’autres s’exécutent à coups de sextapes je trouve ça très beau très réel jamais ridicule la fragmentation des écrans tente de mutiler mon crâne je voudrais là maintenant pouvoir poser ma tête contre son coeur
est ce genre de fille héroïque qui porte une tenue de combat de couleur sombre et de style camouflage quelques jours par mois depuis 2015. On parle souvent d’endométriose, plus rarement de ménorragies et la plupart des filles ne disent rien de leurs règles ou bien seulement entre elles. Pourtant ça ne manque pas de poésie. Et c’est même assez beau le matin sous la douche de se perdre dans la contemplation du sang qui s’écoule le long de la cuisse, se dilue et dessine sur la peau, sur l’émail avant de disparaître. J’ai d’ailleurs vaguement songé à partager en images sur les réseaux qu’on dit sociaux – je n’ai pas follement envie d’être sociable ou alors juste par bouffées comme la clope, j’ai arrêté mais je reprendrais bien une taffe – Bref rien de grave, une simple anémie au long cours qui me plombe. J’ai la bouche rouge sur le teint pâle, la tête me tourne mais sans ivresse. Se gaver de fer et d’algues, attendre patiemment le jour où la mécanique des flux se déglingue. Que la ménopause se pointe et délivre. Je le trouve un peu déprimant et sec cet horizon sous la pluie qui tombe. Et j’aime ce rythme, ce va et vient. Le souvenir de tes hanches maigres d’éternel garçon, ta peau très blanche, très fine. La mélancolie se tient là toute entière sous les doigts. Comme ce jour où j’ai pris conscience que je n’aurai plus d’enfant, plus jamais, dans mon ventre. Non que ce soit irréalisable mais à 36 ans, j’en avais trois, c’était à la fois magnifique, suffisant et triste à chialer. Alors ce week-end puisque ça saigne encore et depuis si longtemps, je vais en profiter pour rester dans ma planque. J’ai annulé le rendez-vous avec J. et la lecture prévue ce soir en happy few. L’angoisse qu’une hémorragie en live ne soit prise à tort pour une performance un peu gore. J’ai des cartouches des munitions. Des livres, de la musique, des podcasts, le chat narcoleptique et netflix. Il va de soi que je n’attends ici aucun commentaire à caractère « médical » – même bienveillant – même vegan – j’évite de nourrir l’animal.
On lutte contre ça non ? La complaisance. Envers soi. En tout cas moi je voudrais arracher chaque mot qui s’en approche. Et puis aussi tous ceux qui semblent faits pour aller ensemble et s’enchainent presque fatalement l’un à la suite de l’autre. Ca me déprime en fait. Parce-que ça repousse sans arrêt. Je devrais apprendre à poser des pièges. Cette musique dont vous parlez, je dois l’oublier. Comme ce fantasme du couple. Déjà je déteste le mot, il me fait de la peine. Je voudrais le désincarcérer, lui donner un peu d’air. Je cherche autre chose. Je dois être follement prétentieuse au fond. Tant mieux. De plus beau, de plus secret. Planqué haut dans les arbres, un peu déraciné aussi. Sans cela je ne pourrai pas l’écrire. Et c’est encore un refuge, on y échappe pas. Provisoire, instable, mal barré comme le reste. Tout ce que j’aime. J’ai très mal dormi, c’est visible, j’ai du mal à sourire et des traces de peinture blanche un peu partout sur le corps, les cheveux. Une constellation tenace et indéchiffrable puisque bien entendu je ne connais rien aux étoiles. Mon bronzage a déjà foutu le camp. Sur ma boussole de téléphone je peux lire 177 degrés Sud lorsque rien ne bouge. Vous me trouverez facilement comme ça.
Glaneuse infatigable sur le rivage. Avec plus ou moins d’abondance. La récolte se découvre chaque jour au fond du panier en raphia. Fragments de bois flotté, d’écorce, plumes, coquillages et coquilles d’huitres aux strates bleues, nacres délicates, friables, galets colorés polis par les vagues, brins d’immortelles piochés le long des dunes. Et cette façon joyeuse de vivre de nouveau moitié nue, à l’extérieur le plus longtemps possible. Les cigales à plein tube sous les grand arbres. Reprendre corps. Laisser la tête en friche. Si besoin s’en balancer encore un peu plus, les yeux fermés dans le hamac. Je marche et grimpe au rythme du soleil, pieds nus sur le sable brûlant, le vent me grise doucement, les ombres se dessinent puis s’envolent. Laisser filer, se délester. La nuit se raconte autrement. Huit ans que je rêve régulièrement de toi. Je crois que j’aime encore te retrouver là, sous la lune. Alors comment écrire avec ceux qui restent lorsque partir ou disparaître c’est commencer à laisser une trace. Facile de raconter nos histoires de fantômes, de creuser plus loin, plus profond les sillons au royaume planant du manque et des absents mais comment faire avec les vivants ?Je songe à cette toute première tâche de sang, dans les draps, un matin de juillet, ici, l’été précédant mes treize ans. Je me souviens de la sensation vive, frémissante, de ce bouleversement du corps, de l’exaltation secrète. Il se passe enfin quelque chose, quelque chose qui claque et n’appartient qu’à moi. Je pense à cette autre tâche de sang sur le dos de ma robe en coton rose pâle, entièrement boutonnée devant. Trois ans plus tard, deux corps maladroits, entre deux dunes. Toujours en juillet, toujours ici. Trente-cinq après, le sang s’écoule encore, un peu trop même, comme à l’adolescence. Et moi je t’écris sur le sable.