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S’engouffrer dans le supermarché, celui du coin de la rue, c’est là généralement que tu parviens à te soustraire à ta propre trace, puisque désormais partout ou presque, on nous piste. Ici aussi bien entendu, tu as encore une carte bleue, voire la carte de fidelité, tu es fichée, tu es un putain de bon client et c’est tout. ici tu te perds un moment parmi toutes ces identités, qui socialement n’ont rien à faire ensemble et qui pourtant régulièrement, se croisent, avec l’ impossibilité d’échapper à la proximité de l’autre, à son urgence, variable. Fatigue ou simple lassitude, les sourires, un peu forcés, figés, automatiques et la tension presque palpable dans les corps, les attitudes, les abandons surtout. Quelques dérapages de temps à autre, lorsque les nerfs n’en peuvent plus de tenir et lâchent pour une broutille, une étincelle, un rien. Humanité en 3 d, boire et manger on n’y coupe pas, on a pas encore trouvé le truc, on en est plus très loin. Les aliments exposés ici semblent avoir perdu leurs goûts, leurs saveurs, on recrée, on injecte, des couleurs, des parfums, comme un semblant d’ambiance et d’authenticité. Mais au moins, une fois le barrage des caisses franchi, ton portable ne capte plus et le temps d’une esquive, ça repose. Tu peux essayer de fermer les yeux, tenter de poser un voile flou entre toi et le monde, entre toi et les autres, entre toi et toutes ces sales histoires en patchwork, effilochées, déchirées, plus ou moins recousues. Mais bon c’est difficile quand même de ne rien voir. Il y a ceux qui comptent chaque pièce, serrent douloureusement leur porte-monnaie, leur maigre trésor et l’essentiel de leur survie, s’y agrippent comme un naufragé s’accroche à un radeau qui prend l’eau. Se nourrir reste incontournable, sauf lorsqu’on va si mal que plus rien ne passe, que chaque bouchée reste douloureusement coincée en travers de la gorge. Le plus grand nombre se tient dans l’entre-deux, ou bien oscille, plus ou moins sur le fil, parfois carrément sur le bord, ils font gaffe mais pas tout le temps. Pendant quelques jours, en général en début de mois, il soufflent, s’octroient de menus plaisirs. Te réfugier ici aussi pour échapper aux vent, à la pluie, aux éléments qui s’emballent, pour remettre de l’ordre dans tes cheveux humides, dans la jupe qui forme corolle autour des cuisses encore nues. Nous sommes fin septembre et c’est toujours un peu l’été. La pluie d’orage, violente, subite, colle les vêtements à ta peau, ils vont sécher, la peau aussi séchera. Pour les sentiments, c’est différent, tu n’as pas vraiment de prise, ils résistent, persistent à te poursuivre, se montrent diaboliques et rusés. Pourtant toi aussi tu uses de subterfuges, t’évades dans des considérations futiles, marchandes, tentes quelques compromis, soupèses et compares. Un peu de chocolat noir aux vertus reconnues ne te ferait pas de mal, hésites entre deux marques, bio ou pas, s’y soumettre ou s’en balancer. Tu évalues la tronche des salades encore vertes dans leur sachet sous vide, le temps qu’il reste, la buée qui menace. Nos combats modernes sont périssables, la date limite te prend souvent de cours. Avec toi c’est pareil, il y a trop de désordre, d’agitation, de questions, de valses hésitations, suivies de bouffées ou flambées d’optimisme qui finissent par rétrécir ou carrément par se ramasser. A la longue c’est épuisant tout ça. Dans un supermarché, tu peux aussi te mettre à pleurer, parce-que d’un coup ça te rattrape, follement. Tu es comme un vieux type sentimental qui peine à cacher ses larmes et ça te colle au train, bordel. Oui vraiment ça t’emmerde, la nostalgie, la conscience du temps qui passe, le désespoir de certains et puis le tien qui ne fait pas le poids c’est clair. Juste un truc de naissance, un manque jamais comblé, une tristesse de fond de tiroirs, une curiosité ordinaire pour la plupart d’entre nous. Certains s’en sortent mieux que d’autres, c’est inégal et c’est comme ça, les armes dont on dispose, celles qu’on se fabrique, le sens inné de la lutte. Bref tu aimerais bien poser le trop-plein quelque part, t’en défaire non mais délester un peu ne serait pas un luxe. Ton sac est plein à craquer mais c’est bien quand ça craque finalement. C’est humain, misérable et touchant à la fois, sauf quand on s’apitoie trop longtemps sur son sort. Oui c’est là sans doute et sans en avoir conscience, qu’on s’approche étrangement du beau. Enfin c’est une question de goût, moi j’aime bien sentir les craquements dans mon corps, sentir ce qui se trame à l’intérieur. Leurs nouveaux sacs en plastiques verts à trois centimes d’euros l’espoir, sont bien trop minces pour contenir nos débordement, mais bon trêve d’avalanches, ce n’est pas comme si je n’avais rien d’autre à foutre, que passer ma vie à t’attendre.

One Comment

  1. Je suis toujours au bord des larmes au supermarché aussi.


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