Je suis juste sonnée. Comme la plupart d’entre nous j’imagine. Pas la grande forme avant. Puisqu’il y a fatalement désormais un avant. Un fondu au noir, quelque chose qui s’éteint brutalement, puis faiblement, par intermittences, se ranime, subsiste et s’amplifie. Enfin on essaiera. Une histoire de lucioles qu’il nous faut, coûte que coûte, préserver. Dans le corps, un virus hybride et dérisoire, forcément. Sans doute via les enfants que je côtoie chaque jour à l’école. Je n’étais donc pas dehors comme le week-end précédent mais au chaud, fébrile et pas très vaillante. Mes enfants avec moi, 16 et 11 ans, ne semblent pas réaliser vraiment. Moi non plus remarque. Comment se représenter tout ça, même si tu disposes de plus d’éléments pour réfléchir, de matière, d’épaisseur. Sur le principe seulement, parce-que finalement même si c’est utile, ça ne protège en rien. La sensibilité toujours affleure, grignote et bataille avec le réel qui cogne. Je regarde le sourire de ma fille, immense, insubmersible et fragile à la fois. Comme si elle cherchait à me rassurer, un comble. Je peine à trouver les mots, tâtonne, maladroite, submergée. La prendre simplement dans mes bras. Poser les mots après. Sans plus savoir vraiment qui console l’autre. Parle avec mon fils ainé qui vit à Londres, était de passage ici il y a quelques jours. C’était bon de le voir. Le sens touché lui aussi. Comme ma soeur, plus loin encore, en Californie. Ce qu’il faut dénouer dans la gorge pour tenter péniblement de raconter. Aller à l’essentiel, à ce qui reste de sens. Se dire qu’on s’aime, qu’il faudra encore plus d’amour et puis la résistance toujours. Celle de la vie contre la peur, celle qui plie, trébuche, se prend des gamelles et des coups dans la gueule, des balles perdues mais ne rompt pas. Nuit brève, fragmentée, sans parvenir à couper plus d’une heure ou deux avec twitter, fb, la radio, les mots, les phares, ceux qui nous aident. Plus que les images qui nous absorbent. On s’est appelé hier soir, cette nuit, ce matin avec les amis, les proches. La nécessité de faire lien, d’entendre ou de lire ceux pour lesquels on s’est inquiété un peu plus. Qui vivent tout près de là et qui comme toi, plus souvent que d’autres, jouent les oiseaux de nuit. Pour rire, oublier, se noyer, qu’importe. On se réchauffe comme on peut, avec la tendresse qui scintille au fond. On se dit qu’on trinquera bientôt, qu’il nous faudra vivre un peu plus fort encore. Impossible de ne pas penser à ces très jeunes gens, dont pour certains on est encore sans nouvelles presque 24 heures après, à leurs familles, à la douleur, incommensurable. Les larmes au bord des yeux, tout le temps. Une salle de concert, les terrasses de café, l’insouciance pas tout à fait, non, mais la vie qu’on cueille ou qu’on arrache, par bouffées, parce-qu’il faut bien bordel. Parce-qu’on est là pour ça aussi et surtout. A l’origine. La naissance des choses, leur déploiement dans l’espace et le temps qu’il faudrait pour rêver. La grâce, la beauté, le partage et l’amour. Son énergie, sous toutes ses formes. Tu connais ces rues presque par coeur, les yeux fermés. Charonne, Voltaire, tu es juste un peu plus haut à Ménilmontant et souvent tu dévales pour un concert, prendre un verre ou simplement profiter de la douceur d’une nuit avec l’homme qui t’accompagne, les amis, les enfants. A bras le corps. Le Bataclan il y a un an je crois pour le concert de Brigitte Fontaine. On a ri, on a chanté, pendant et après, on a dansé aussi. Sur son morceau sublime et déjanté « Ah que la vie est belle » qui résonne, déraisonne, envers et contre tout. Même fracassée, criblée. Tu penses au frontistes, aux amalgames inévitables, à l’ostracisme et à la haine, aux religions et aux frontières, à ce qui nous divise dangereusement jusqu’à l’extrême. A ce système insensé, absurde, qu’il nous faudra repenser entièrement, au temps qui file et nous manque. A ce climat qui souvent te donne la nausée. Tu chasses ça, très vite. Respires. Laisses s’infiltrer en toi, circuler, se répandre, la solidarité, la chaleur et l’amour. Tu ne peux pas trier, organiser, ordonner les pensées, c’est trop tôt, trop à vif. Alors tu écris ça, en vrac et en désordre, sans visibilité aucune, avant d’infuser probablement, au fil des jours.Tu bois un verre de vin puisque la gueule de bois depuis ce matin déjà, t’a enveloppé de son filtre. Déposes une bougie sur le rebord de la fenêtre et penses à eux, très fort et très triste. Du haut de tes collines, tu contemples la ville qui brille encore de mille feux, du brasier de nos coeurs. Du peu de forces et de courage qu’il te reste mais qu’il nous faudra trouver. Ensemble.
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Toutes ces filles qui vivent dans mon corps by Céline Renoux is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-NoDerivs 3.0 France License.
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merci ❤