J’avais très envie d’échanger avec Christophe Grossi dans le cadre des vases communicants. Il y a son dernier livre Va-t’en va-t’en c’est mieux pour tout le monde (publie.net) dont je vais sans tarder commencer la lecture puisque ça y est je l’ai ! Et le blog http://deboitements.net/ sur lequel je m’arrête et reviens si souvent parce que ces textes-là font écho et me laissent empreinte. Alors moi à côté je me sens un peu frêle mais très heureuse de recevoir en partage le précieux carte, écart & trace qui explore la mémoire, les méandres comme les déchirures d’un territoire organique, nous laissant un peu de son encre sur la peau. Quant à mon texte, Avant que le jour efface, vous le trouverez ici.
carte, écart & trace
Comme ils auraient mis une majuscule au début d’une phrase, nos corps ont scanné leur carte vitale avant de l’imprimer puis ils l’ont versifiée avec des restes d’enfance (on aurait dit qu’ils étaient en train de barbouiller leur professeur de géolocalisation) mais avec des mots adultes (vous êtes ici) en raturant certaines parties. On n’imagine pas nos vies sans bavures ni mots rayés sur la carte, ils ont dit.
Nos corps ont tenté d’y retrouver leurs frontières, leur luttes, leurs guerres intestines mais la mémoire oublie souvent d’escarper les côtes et de gravir les collines, la mémoire a oublié où ils s’étaient baignés, là où ils s’ébouriffaient les cheveux, la mémoire ne sait plus où s’isoler. Alors, comme les frontières n’étaient déjà plus si nettes au bout de trois ou de quatre passages et comme le pays est rapidement devenu une zone occupée, nos corps ont jeté la mine de leur crayon sur le pays dans lequel ils avaient trop longtemps vécu.
Ils n’ont pas enregistré ce fichier sur leur bureau en teck.
Nos corps ont tracé une nouvelle carte pour savoir dans quel quartier de l’orange ils s’épluchaient aujourd’hui, dans quel autre ils pourraient pourrir. Ils ont fait cet écart pour éviter de pourrir dans leur propre orange. Puis ils ont dessiné en mots (des balises en réalité) des attitudes, des choses qui ne se disent plus, des comportements contradictoires afin de connaître les différents lieux où soigner leur dédoublement : est-ce que le simple fait de se poser la question du vieillissement nous ferait vieillir ? Le temps qu’a duré la question (là où nos corps s’abîment) le temps, lui, ne les a pas attendus. Au mieux il les a rattrapés, au pire il les a rattrapés.
Nouvel essai lors duquel nos corps ont cherché à utiliser de nouveaux outils, des mots simples, les mots de ceux qui apprennent à écrire, et des abréviations, pas de phrases complètes en tout cas. Juste une liste de mots clés et solides, comme un tatouage dans le dos, jusqu’à ce que s’impose celui-là qui depuis longtemps déjà avait commencé à s’écrire tout seul et dont les trois premières lettres avaient été grignotées.
Nos corps n’ont rien sauvegardé, ils ont ouvert une nouvelle page pour retarder le moment où ils seraient engloutis. Alors ils ont coloré les bordures et bariolé certaines régions. Et ils ont écrit au cœur du dessin que souvent leurs jours étaient un combat sur la nuit. Ils ont ensuite noirci les contours, ils ont accentué les creux, ils ont arrondi les bosses et ils ont posé un livre blanc au milieu de la page.
Nos corps ont dessiné une carte au centre de laquelle un livre blanc a bu l’encre avant de disparaître.
Texte et photo, Christophe Grossi, Les vases communicants, octobre 2011.
Les vases communicants est un ensemble polyphonique initié par François Bon via son site Tiers Livre et Scriptopolis. Le principe : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre. Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre. Ce beau programme a démarré le 3 juillet 2009 entre les deux sites cités supra ainsi qu’entre Liminaire et Fenêtres Open Space. Merci à Brigitte Célérier d’avoir tenu à jour la liste des 25 échanges du mois, liste que vous retrouverez ici ou là.
2 Comments
Certainement
le fait que ma fille
qui est à l’ultime stade de la genèse
fasse profession de tatouage
a influencé ma lecture à partir du moment où ce mot à précisé ce qui s’esquissait déjà dans mon esprit
mais de fait
ce texte fonctionne comme un tatouage d’art
il pique ici et là
apparemment au hasard
et pourtant en construisant peu à peu un dessin
inachevé et pourtant signifiant
chaque fois qu’un espace est créé
immédiatement le mot
l’aiguille au bout de la langue de celui qui dit
comble cet espace et révèle d’autres lignes.
J’aime ce que le corps raconte
ici
aidé par la plume et sa douce piqûre.
Magnifique texte Christophe que ce « carte, écart et trace » (rien que les anagrammes du titre…) et merci de m’avoir fait découvert ce blog et la talentueuse céline renoux…