Il y a eu ce moment précis ou elle a crié, je m’en souviens parce-que je l’observais à la dérobée depuis un moment déjà à cette terrasse de café.J’étais sans doute la seule, personne ne semblait prêter attention à elle ou plutôt prenait grand soin de l’éviter.Il y avait sur le sol comme une ligne de démarcation imperceptible, mais tenace et infranchissable, il y avait elle et il y avait le monde.Les lignes étaient tracées pour ne plus se rejoindre, alors elle était là mais de l’autre côté, à l’extérieur, hors cadre, comme assignée à résidence.Elle en a eu assez, elle a crié, leur a demandé d’arrêter ça, cette forme d’indifférence violente qui finissait par la rendre invisible à ses propres yeux, cette chose qui la rendait encore plus honteuse d’elle-même, être là, sur le trottoir, sans espace et sans voix, se sentir comme une boule de merde qu’on écrase à force de silence.Elle a crié mais personne n’entendait parce-que personne ne voulait entendre ou ne parvenait plus à entendre.Elle a crié pour que résonne le son de sa voix encore une fois.Elle a crié pour matérialiser sa propre existence ou accrocher juste un regard. Elle a crié pour que quelque chose se fixe, pour essayer de vivre encore un peu avec les autres, pour ne pas être recouverte et ensevelie par son propre souffle sans retour ni écho.Elle a crié pour ne pas être engloutie, aspirée par le vide de sa non-existence.Elle a crié pour tenter de se dégager de ce brouillard opaque comme la nuit où s’effacent les couleurs, se dissolvent les parfums, se perdent les sensations, ne restent que la peur, la fatigue, l’inconfort, la faim ou bien le froid et souvent le chagrin.Elle a crié pour sentir dans son corps la chaleur et ne plus disparaître sous leurs pas mais c’était comme une chute silencieuse, un glissement progressif.Elle a crié juste une fois et puis s’est tue puisque rien n’est venu, s’est recroquevillée un peu plus dans la marge, sans espace et sans voix.Ils ont continué d’aller et de venir comme si elle n’avait jamais existé, comme si rien ne s’était passé, comme s’ils avaient peur en franchissant cette ligne de tomber à leur tour.Son cri a résonné longtemps à l’intérieur de moi mais je n’ai pas bougé, tenté de me replonger dans mon bouquin mais sans y parvenir, alors j’ai écrit ça puisque je n’ai pas bougé, même si j’ai vu et entendu, que j’ignore son nom et ne connais pas son histoire.Son histoire j’aurais voulu la connaître, cette femme qui a peut-être mon âge, j’aurais aimé lui parler et surtout l’écouter mais j’ai manqué de courage.Parce-que nous sommes peut-être tous ici comme des grains de sable mais nous avons chacun une histoire, alors la sienne j’aurais aimé l’écrire, sans vouloir m’en servir, juste pour la lui rendre.
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Toutes ces filles qui vivent dans mon corps by Céline Renoux is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-NoDerivs 3.0 France License.
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