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Category Archives: Toutes ces filles qui vivent dans mon corps

litterature et poésie

C’est un étrange ovni, un objet bancal mélancolique, réalisé en 2013 avec Yan Péchin. On peut désormais l’écouter sur toutes les plateformes musicales.

https://poesie.io/celine-renoux/mon-ame-est-punk-avec-une-fleur-bleue-au-milieu

Avec un épigraphe d’Apollinaire tout s’éclaire. J’ai rassemblé quelques textes/photos il y a un moment déjà. Certains sont anciens, d’autres moins, j’ai parfois modifié, coupé. C’est un très petite chose, pas renversante du tout, que j’aurais aimé fabriquer de façon encore plus intime. En tout cas elle existe.



https://ecoutonsnospochettes.com/chronique/chronique-laurie-anderson-big-science-celine-renoux/

La sortie de l’album Big Science en 1982, c!est une révélation et je crois le premier 33 tours. Après la ribambelle de petits vinyles que je commence à collectionner comme les flirts. Réels, imaginaires, à la lisière, la frontière souvent se trouble. Mais Big Science c’est un album culte, un masterpiece, un geste artistique total. Et 40 ans plus tard, quelque chose d’inusable et d’impermanent qui se déploie dans un mouvement perpétuel. C’est un objet disque non identifié, mystérieux, spatial. Une boucle temporelle qui me happe et dans laquelle je peux dériver.

J’ai toujours été une fugueuse. Du plus loin que je me souvienne, je finis immanquablement par m’échapper. D’une manière ou d’une autre. Dans quelques mois, je ferai le mur des jours et des nuits entières, jusqu’à partir définitivement à 17 ans. Je ne sais pas nommer ce que je cherche a fuir. La frayeur si souvent contenue. La sensation d’être un objet entre les mains des adultes. Les agressions au collège. Les innombrables déménagements d’une ville à l’autre, qui signifient la perte douloureuse de certaines grandes amitiés. Deux ou trois précipices. Longtemps je me suis tue. Jusqu’au jour où la vague est trop haute. Ça déborde le corps. Chaque jour je continue de sauver l’enfant que j’étais.

Ce disque, je le déniche un après-midi d’hiver chez un disquaire à Biarritz. Je suis ici pour le week-end avec mon père et la femme qui partage momentanément sa vie. Ou plus simplement son lit. Elle est féministe et cinéaste, amoureuse et libre. Elle me plaît. C’est elle qui me conseille et m’offre cet album. À cette période mes parents sont séparés et c’est plus ou moins la guerre. Pour moi c’est une libération, la possibilité d’un espace. Chacun redevient une entité sensible et ouverte au monde. Je peux sentir l’air de nouveau circuler, la communication irriguer. J’ai 14 ans, presque 15, et là au bord des vagues, je découvre qu’on peut faire de la musique autrement. Avec une dimension hypnotique, une amplitude immense, un ver- tige. Une sorte de long mantra modulé par la voix et constitué de sons, d’échos, de souffles, de claps, de boucles, de vibrations. L’alliage électronique parfait. Ce chemin m’intéresse, j’aime l’expérimenter, l’entendre résonner à l’intérieur. Aujourd’hui encore se niche dans un coin de ma tête, cette idée d’enregistrer des titres avec la voix, les sons. Travaillés ensemble, sculptés en un seul matériau, une même fusion. Sauf que je ne suis ni musicienne ni technicienne. Juste en immersion et le corps traversé jusqu’aux extrémités.

L’été suivant, je rencontre le premier amoureux, l’éternel garçon. Et c’est comme une île, un radeau de secours. On se console, on s’explore. Deux gosses blessés, accrochés l’un à l’autre, avec le corps et le coeur en feu. Dans l’ivresse de la découverte, de fusion et d’extase mêlés. Un soir on se retrouve et tes cheveux sont crêpés, tes lèvres rouges, tes yeux cerclés de khôl. Tu es fan absolu de Robert Smith. Le concert me bouleverse. On se quitte deux ou trois ans plus tard, c’est une déchirure mais l’ennui des villes de province, le besoin de vivre vite et d’ouvrir le champ, sont trop vifs. Je décide de partir à Paris où je vis encore aujourd’hui.

La pochette de Big Science ne s’oublie pas. Elle nous montre Laurie Anderson dans une tenue androgyne et blanche, presque phosphorescente, le regard masqué par des lunettes opaques. La lumière est aveuglante, la posture fixe, robotique, les mains ne rencontrent que le vide. Et pour seule matière, l’omniprésence du son. Enfant me revenait fréquemment le cauchemar d’une chute interminable.

J’ai toujours préféré les histoires que l’on ne comprend pas. Sans doute parce que je suis incapable de les raconter correctement. C’est vite calamiteux. Je perds le fil, je digresse, j’ellipse. De cette façon que j’ai de construire ma vie mais aussi de travailler le texte. Dans l’impossibilité. J’aime ce qui échappe, ce qui interroge. Cette image en couverture de l’album Big Science ou ce que délivre Laurie Anderson en intro de Born, Never Asked.

« What is behind that curtain ? »

Et puis cette femme, cette artiste, a partagé longtemps et jusqu’au bout la vie de Lou Reed. Celui qu’elle surnommait The Prince and The Fighter. Le Prince et Le Combattant. Lequel sera l’initiateur du choc suivant, celui du Velvet Underground, selon ma propre chronologie musicale inversée. Certains albums rares, ceux qui contiennent une recherche de sons et trouvent quelque chose, forment des tatouages. Ils nous laissent une trace, agissent comme des rites initiatiques, ouvrent des passages. Et puisque tout est transformation, je garde en mémoire les mots lumineux et tranchants de Laurie Anderson, peu après le décès de son compagnon « Il est mort dimanche matin, alors qu’il regardait les arbres et effectuait le célèbre 21e mouvement de tai chi, avec ses mains de musicien qui fendaient l’air. »  

J’entends toujours la musique

visage écrasé contre le soleil

chemin qu’on taille avec les yeux

couleurs crachées par le tube

du jaune du bleu pour s’enfoncer

tu travailles au couteau

la douleur et le grain de la peau

le poids du corps reste planté là

une oreille en forme de conque

fracas des vagues à l’intérieur

doigt pressé au creux du menton

porte-bonheur porte chance

longtemps que la mer n’y est plus

draps froissés mains qui tremblent

coeur qui s’élance et puis redescend

petite musique pulsation mécanique

afflux de sang qui vient cogner les tempes

Encore une fois c’est l’aube

et je n’y arrive pas

je n’y arrive plus

à dormir à voyager à écrire

les yeux me brûlent à force d’essayer

quitter les lieux sur le champ

arracher toutes les fleurs

briser chaque fenêtre

avec une pierre

viser obstinément le centre

prendre un poème

claquer la porte

maintenant tout s’efface

la page est blanche

vide mais blanche

chaque jour je pense à vous

ça me tient debout

bancale mais debout

cette idée de vous rencontrer

cette folie de vouloir vous aimer

ça n’a aucun sens

je ne vous connais pas

je ne sais rien de vous

je ne vous plairai pas

mais je crois que vous me plaisez

que vous me plaisez beaucoup

que ça ne s’invente pas

cette chose-là

elle sera toujours contenue dans la parenthèse

dans le silence

dans le noir de la chambre

cette lueur

la clarté de nos draps

et au matin la beauté le jardin les oiseaux

cet effroi splendide

ne plus rien en dire

jamais

le vivre une dernière fois

une première fois

pour de bon

jusqu’au bout

dans cette cabane qui nous abrite

qu’importe le vent la pluie

au diable les prières la mélancolie

la chaleur de ton souffle

dans le creux de mes mains

ce feu de joie qui flambe

et gonfle la poitrine

parcourir avec la bouche les doigts

recueillir chaque mot enseveli à l’intérieur de nous

je me suis toujours défilée

j’ai fugué sans arrêt

j’ai eu peur

j’ai été lâche

je le suis encore

et je suis fatiguée

puisque je ne dors pas

fatiguée mais vivante

et ce n’était pas vous

avec vous je voudrais rester

rester jusqu’au bout

Que dire encore sur lui qui n’a déjà été dit. Absolument rien. Et peu importe qu’il s’agisse des souvenirs flous d’une fille de 15, 20, 30 ou 50 ans. Puisque cette fille c’est toujours la même au fond. Pleine de musique et de mots en vrac. De rêves de valses et de mélodies. En 1990 vu de l’extérieur, j’ai un peu plus de vingt ans, les yeux bleus, quelques tâches de rousseur et les dents du bonheur. En 1990 j’ai un enfant comme un accident ravissant, non prémédité mais désiré. Éperdument. Pour plein de mauvaises raisons mais on s’en fout un peu maintenant. Pour réparer, amarrer ce qui en moi s’écoule, fugue et dérive. Pour transformer la mélancolie en un éclat quelquefois radieux. En 1990 je travaille plusieurs semaines d’affilée à l’hôtel Verneuil St Germain juste en face de chez Gainsbourg et le croiser me plonge dans un abîme où se mêlent extase et sidération. Bambou vient télephoner depuis la réception pour qu’on lui ouvre la porte du 5 Bis dont elle n’a visiblement pas les clefs. Jane, Kate et Charlotte se relaient chacune à leur tour dans un ballet gracieux de paniers et d’accents anglais. Je me morfonds matins et après-midis dans cet hôtel chic de la rive gauche entre deux arrivées et autres check-in check-out de couples illégitimes ou de touristes japonais. Me perds dans la contemplation des murs tagués de l’hôtel particulier dont j’arpente en songe les couloirs recouverts de noir. Alors Gainsbourg la seule fois où je l’approche vraiment, de si près que je peux entendre mon coeur battre comme un tambour un soir de 14 juillet, de si près que j’en tremble en essayant maladroitement de tenir mon verre et d’allumer ma clope mentholée. Ce qui me trouble c’est la timidité persistante qui se dessine en filigrane. Malgré le parcours de dingue, malgré le sublime, les vertiges, le doute et les gouffres. Planquée sous la provocation qu’il vient de dégainer en public, en petit comité elle revient hanter son visage, parcourir les mains, les yeux, la bouche pour se planter dans un sourire qui ravive instantanément celui du petit Lucien Ginsburg. Et c’est émouvant et beau dans mes souvenirs flous, comme la délicatesse si fine de ses portraits à l’encre de Chine. https://www.youtube.com/watch?v=l86CKCllUiU&fbclid=IwAR2Wa4vaNTCYioO7hrlk_VY6P_qTI3Iz6loS-VE8L0px-f4MTZAGdJzOcns

Je trouve quelques mots de toi au réveil puis ces notes miraculeuses

Et tout devient simple clair et tranchant

Dans la douceur immobile d’un matin de février

Avec ce bout de ciel bleu et les oiseaux qui traversent

A Quiet Temple de Mal Waldron https://www.youtube.com/watch?v=YdQkSGsfrRA

Je filme le mouvement des nuages en accéléré et je suspends leur vol

La musique injecte sa dopamine dans les multiples arborescences de mes veines

Elle explore chacune de mes trente-quatre vertèbres

se pose en équilibre sur la nuque

la nuit je navigue sur le site de la BBC qui recèle plus de 16000 sons http://bbcsfx.acropolis.org.uk/

Je peux y lire les descriptions précises de chaque piste

Elles débordent de vie d’exil de joie de mélancolie

de quoi étancher la soif

– summer atmosphere – quiet wind in trees and atmosphere just before dawn, distant aircraft – 1980 (1B8 , reprocessed) (technical note – to be used at low level)
– Hampstead Heath winter afternoon with coal tit, long tai ed tit, blue tit, nuthatch, robin, goldcrest, crow, distant dogs
– birds & backgrounds: churchyard, night, owls hooting, clock strikes 12 midnight at 14”
– street restaurant, Venice – exterior, busy with chat, footsteps, sounds of tables being moved and clinks
– Train interior – sound of cutlery from restaurant car adjacent (recorded on the « Train of Death » made famous by Butch Cassidy and the Sundance Kid)

Je suis en Nouvelle Angleterre ou à Buenos Aires en 1973

J’écoute le chant de ces toutes petites âmes qui ne sont plus qu’échos lointains sur les branches

J’écoute des battements de coeur autrefois dévorés d’amour et de solitude

j’entends des portes qui claquent et les pas des amants égarés dans des hôtels en ruines

J’entends les chuchotements et les rires étouffés disparus à jamais de la mémoire de chacune de ces trois jeunes filles

J’écoute les mouettes folles et les dockers accablés de soleil dans un port aujourd’hui endormi et sans charme

Soudain il n’y a que le son et l’image éblouissante de nos ombres dans les rues de Paris au printemps

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je lui ai dit l’autre jour que je pourrais rester longtemps cachée dans le velours de sa barbe

y prendre refuge et demander l’asile politique
il vit très loin d’ici dans une ville immense recouverte de neige
son absence de sourire me réchauffe incroyablement
quand j’ai trop envie de l’embrasser je pourrais tout aussi bien casser deux ou trois gueules

et lorsque je suis fatiguée de construire des phrases en anglais

je fabrique des selfies en rafales comme d’autres s’exécutent à coups de sextapes
je trouve ça très beau très réel jamais ridicule
la fragmentation des écrans tente de mutiler mon crâne  
je voudrais là maintenant pouvoir poser ma tête contre son coeur

https://www.youtube.com/watch?v=Vj_dLuRTjUQ

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est ce genre de fille héroïque qui porte une tenue de combat de couleur sombre et de style camouflage quelques jours par mois depuis 2015. On parle souvent d’endométriose, plus rarement de ménorragies et la plupart des filles ne disent rien de leurs règles ou bien seulement entre elles. Pourtant ça ne manque pas de poésie. Et c’est même assez beau le matin sous la douche de se perdre dans la contemplation du sang qui s’écoule le long de la cuisse, se dilue et dessine sur la peau, sur l’émail avant de disparaître. J’ai d’ailleurs vaguement songé à partager en images sur les réseaux qu’on dit sociaux – je n’ai pas follement envie d’être sociable ou alors juste par bouffées comme la clope, j’ai arrêté mais je reprendrais bien une taffe – Bref rien de grave, une simple anémie au long cours qui me plombe. J’ai la bouche rouge sur le teint pâle, la tête me tourne mais sans ivresse. Se gaver de fer et d’algues, attendre patiemment le jour où la mécanique des flux se déglingue. Que la ménopause se pointe et délivre. Je le trouve un peu déprimant et sec cet horizon sous la pluie qui tombe. Et j’aime ce rythme, ce va et vient. Le souvenir de tes hanches maigres d’éternel garçon, ta peau très blanche, très fine. La mélancolie se tient là toute entière sous les doigts. Comme ce jour où j’ai pris conscience que je n’aurai plus d’enfant, plus jamais, dans mon ventre. Non que ce soit irréalisable mais à 36 ans, j’en avais trois, c’était à la fois magnifique, suffisant et triste à chialer. Alors ce week-end puisque ça saigne encore et depuis si longtemps, je vais en profiter pour rester dans ma planque. J’ai annulé le rendez-vous avec J. et la lecture prévue ce soir en happy few. L’angoisse qu’une hémorragie en live ne soit prise à tort pour une performance un peu gore. J’ai des cartouches des munitions. Des livres, de la musique, des podcasts, le chat narcoleptique et netflix. Il va de soi que je n’attends ici aucun commentaire à caractère « médical » – même bienveillant – même vegan – j’évite de nourrir l’animal.

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je nous souhaite de garder la flamme vivante

de ne pas la laisser s’éteindre

de l’entretenir et de résister

je nous souhaite de trouver la chaleur et le souffle

le sens du partage et celui de l’entraide pour former des archipels

je nous souhaite de prendre soin de ce qui est fragile et de ce qui tremble

je nous souhaite de redoubler d’amour

de ne pas abandonner

de continuer à lutter ensemble pour inventer quelque chose de beau et de sauvage à partir de cette colère qui flambe

je nous souhaite de tomber amoureux de rire follement de nous émerveiller encore

it’s now or never  https://www.youtube.com/watch?v=UEeB3l5eJgU

A la mémoire de Rachid Taha *