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La poésie comme tu t’arraches à l’enfance les mains pleines de terre, à force de creuser, de retourner, de déterrer, tu ne sais plus très bien ce qui t’appartient, ce que tu as vécu, rêvé ou fantasmé.Ce que tu veux c’est laisser remonter à l’air libre, trouver ta respiration et le souffle aussi, pour tout envoyer très loin très haut, peu importe que ça s’emmêle ou se torde encore dans tous les sens.Ce qui violemment, par effraction, sans réduire le champ à la rime, bouleverse la donne, recèle autre chose que les mots trop jolis et trop froids pour exister vraiment.Ces mots sans fragilité ni impact, sans possibilité de transformation, juste alignés, aveuglés et figés comme des perles trop blanches, où manquent la chaleur et l’odeur de la peau.Tirer à bout portant, vouloir ce qui dans l’envers, à contre courant, s’y frotte, s’en approche, la fait mourir sur le champ sans graver sur la pierre.Parce-que c’est ici, dans ce qui se jette éperdument, dans ce seul mouvement, dans la chute, comme perdue dans l’immensité et l’opacité du fleuve, qu’elle est libre et vivante.On peut broyer, diluer, brûler, faire fondre, aucune importance, les mots sont déjà partis, n’ont jamais existé ou seulement dans l’instant, leur trace n’est pas réelle et ne peut s’incarner, reste l’empreinte, ses pigments colorés à l’intérieur de toi, ni l’encre qui s’efface ni la cendre emportée par le vent.Alors quitte à nager dans ses eaux et puisque tu n’y résistes pas, que c’est perdu d’avance, se laisser dériver, submerger, jusqu’à s’y noyer

Course interminable du soleil dans mes yeux, sensation de braises qui cuisent sous les paupières, l’obscurité m’avale puis me recrache en fumée, dans la gorge liquide les cendres finissent par se noyer, juste une odeur de tabac froid, ici lentement la nuit a tailladé le jour à coups de barbelés.La violence du silence m’aspire, écorche sous la peau, me retient prisonnière dans une longue érosion qui creuse de l’intérieur et me fige en dedans comme une statue de sel.Brulées les ailes, la brillance des couleurs, sur le parfum des fleurs la belle glisse en vertige, les yeux comme des pierres délavées dont l’éclat s’est usé sur la courbe solaire.Epuisé le battement, inutile, hors d’usage, dans le chaos du monde la poésie n’en finit pas de mourir, reste la pulsation, le sang qui circule dans les veines.En découdre avec le ciel chargé de plomb qui menace de tout recouvrir, tailler dans l’opacité de la masse grise, creuser encore, percer le jour, en extraire les éclats solaires dans la matière brute, chaude et fervente de la rage.Une mutinerie, un acte sauvage et gratuit pour libérer les pulsions qui commencent à brûler dans le corps de la fille.Sur le sol qui tangue, sous le ciel qui chavire, se hisse.L’envie d’entendre les grillons planqués on ne sait où, la chaleur sèche et blanche qui craque sous les pas, et puis le bruit de l’eau qui berce, la mer qui monte et puis descend, inlassablement, jusqu’à se fondre dans l’horizon à perte de vue.Agrandir le regard pour filtrer la lumière et tenter d’absorber le mince rayon vert au léger goût d’amande contenu dans tes yeux sombres, ne trouve que le métal, la rouille.Les larmes roulent comme des pierres dans ma poitrine et dedans ça prend feu.

Entre ses dents le goût des baisers sur ton cou
comme un parfum de nuit baigné de lune claire
l’étoffe était si fine qu’elle se déchire encore
dessous la peau trop blanche que le battement dévore
sur le jardin sauvage la fleur arachnéenne
continue de briller aspirée par le ciel
mais la tige arrachée sur ses lèvres lui manque
et l’or et la lumière, le chant de nos matins

Elle se dit qu’elle n’ a pas même pas pu tuer le père.Tu t’es tiré avant, tu es carrément mort et c’est juste un peu dégueulasse tu ne trouves pas.Bon c’est vrai je filais en douce vers la quarantaine mais je suis lente à la détente n’oublie pas, même si je peux avoir la gâchette facile et dégainer en cas de danger.Je sens bien pourtant qu’en interne ça bouge, ça avance, même si ça semble souvent trop rapide, trop lent ou en rupture dans le rythme, que j’ai toujours trop froid ou trop chaud, enfant c’était pareil, un problème de régulation, d’équilibre et de coordination des mouvements.En plus c’était fulgurant comme ils disent, pas d’anticipation possible, alors j’ai navigué à vue et sans préparation avec des tas de symptômes étranges en écrans de protection.Pour tenir, pour masquer.Parce-que toi pendant ce temps tu mourrais à grande vitesse, tu m’abandonnais à nouveau et cette fois pour de bon.Alors très vite cette histoire de vertige, assez handicapant, et les mouvements en latéral c’était même pas envisageable.Je me déplaçais au ralenti et avec précaution mais ça tournait autour de moi comme sur un bateau ivre.Je me fabriquais le symptôme exact et idéal.Plus tard, tu étais déjà mort, ils m’ont dit que c’était simplement un dysfonctionnement de l’oreille interne, que ça s’appelait vertige paroxystique positionnel bénin.Un spécialiste peut détecter très vite en observant la dilatation et les mouvements de la pupille, ça paraît presque fascinant comme ça, enfin hypnotique genre reflets dans un oeil d’or.Bref une simple manipulation des cervicales en deux temps trois mouvements et le tour est joué, même si j’ai toujours une sensation de vertige dès que je suis un peu haut perchée, mais ça aussi c’est de naissance.Tu es mort et enterré, mais ça marche pas comme ça, tu es encore là et rien n’est réglé hormis la liquidation des biens.Sauf que ce matin je t’écris, jusqu’à présent je ne pouvais pas, c’était bloqué dedans et bien cadenassé.Comme je ne pouvais pas non plus te parler de ton vivant parce-que les mots étaient noués dans la gorge, et je savais parfaitement que si j’essayais d’ouvrir les vannes, il y avait ce torrent qui allait se mettre à jaillir instantanément, que c’était trop d’émotions contenues, réprimées violemment, depuis bien trop longtemps.Depuis tu es toujours là, quelque part, en lisière, entre zombieland et dreamland je ne sais pas trop mon coeur balance, alors je rêve de toi comme je rêve de lui, qui n’est plus là non plus.Ca se mélange un  peu dans ma tête vous deux, et puis je n’oublie pas vos yeux, les tiens sont clairs comme les miens, de ce bleu qui vire au gris ou bien s’éclaire au gré des variations de lumière, lui a les yeux sombres, des yeux de faune mais je n’y pense pas trop à ses yeux parce-que sinon je pleure.Je l’ai rencontré très vite après ta mort et lui aussi idem, presque en simultané, à la chaîne, orphelin, plus personne.Alors sa mère à lui, la première fois que je l’ai vue elle était déjà morte, mais je lui ai parlé et je l’ai remercié parce-que j’étais émue, parce-que j’étais heureuse, vivante et lumineuse, dans cet amour tout neuf que je n’attendais pas et qui m’avait cueilli  lorsque j’étais à terre et venais de te perdre.Mais toi je n’ai pas pu te voir mort, pas trouvé la force, je t’ai vu juste avant et j’ai quand même réussi à te murmurer que je t’aimais.J’ai vu tes pieds nus, ta maigreur en chute libre, ton courage et tes divagations sous morphine.J’avais tellement peur pour toi, peur que tu aies peur, c’est ça qui me terrifiait.Alors je continue à rêver de toi forcément et puis de lui aussi.Parti après quelques années, volatilisé comme il était apparu, comme dans les contes et par enchantement, justement il m’appelait petite fée et tu n’imagines pas mes pouvoirs.Parfois quand les rêves sont jolis tu as envie de prolonger, tu as envie de rester dedans ou bien d’y retourner, alors tu craques une allumette, puis une autre, ainsi de suite.Au début je ne comprenais pas très bien le jeu, ne savais pas trop où je voulais en venir, parce-que non vraiment c’est bien chauffé ici, mais bon quoi qu’il en soit rien ne vient, aucune vision réconfortante, pas l’ombre d’un elfe pour bondir de la flamme et se mettre à danser ni de douce grand-mère aux cheveux d’argent pour te servir un chocolat fumant.Juste des trucs à la con, des images, des parfums qui donnent envie de chialer comme une gamine perdue, abandonnée.Parce-que tu sais une fille c’est de l’herbe tendre, faut faire attention avec ça, c’est fragile, faut pas l’écraser, mais lui donner de l’eau, de la lumière, un peu de poésie si tu sais bricoler, et puis l’accompagner en lui tenant délicatement la main, quand elle est prête, tu sens et puis tu lâches, et c’est toi qui dois pleurer, mais en silence et en retrait, parce-que tu l’as amené au bout de ce chemin et à l’orée du bois, accompli ta mission.Moi tu vois aujourd’hui, je suis incapable de raconter à ma fille, ta petite fille tu t’en souviens, cette histoire de petite marchande en haillons qui grelotte jusqu’à mourir doucement dans la neige, en gardant les yeux secs.Alors je me demande si l’émotivité à ce point excessive, n’importe où et pour n’importe quoi, ça ne cacherait pas un truc suspect, enfin quelque chose qui n’a pas pu grandir, qui est resté dans sa chrysalide ou bien qui s’est brisé à un moment donné.En même temps je sais pas comment prendre le truc et surtout par quel bout, le père et la perte ici, c’est comme un grand bloc monolithique, ça encombre et obstrue l’horizon, en tout cas c’est un vide qui prend un peu trop d’espace paradoxalement, et moi je suis assez désarmée avec ça, enfin pas qu’avec ça.Alors aujourd’hui je m’attaque à la forteresse, à ce truc que je pensais imprenable, et je regarde désormais à l’intérieur pour voir ce qui s’y trouve, parce-que je ne veux plus en avoir peur.Je le fais avec mes mots en vrac qui dansent la sarabande et mes yeux qui se brouillent pour un oui pour un non.Mais maintenant puisque je cours vers toi et vers lui à la fois, que je garde le souffle tout en serrant vos mains un peu trop fort, tu ne pourras plus m’arrêter parce-que j’irai toujours plus vite jusqu’à pouvoir enfin lâcher prise.Et ça c’est parce-que je vous aime, parce-que l’on s’est aimé comme on a pu, et que ces amours-là, même un peu douloureux, ont aussi laissé des traces précieuses, enfouies profondément, qui ne demandent qu’à être déterrées pour fleurir au soleil.

Les mots ce matin sur la page, pâles et sans reflets, juste des mots blancs, des mots pour rien, qui creusent la distance de leur étrangeté désincarnée, de leurs caresses sans relief ni écho, et les mains, inutiles, hors d’usage, sans le contact avec la peau.Pourtant le corps cherche encore en aveugle, le creux, le refuge, les yeux se perdent dans les failles, traquent la moindre lueur, les lèvres effleurent les courbes, les reliefs, s’attardent sur les aspérités et les cicatrices en forme d’étoile minuscule, mais il y a si peu de prises, la paroi est trop verticale, la terre friable, elle lui glisse entre les doigts et le souffle lui manque, trop de silence aussi à en perdre le langage.Elle s’en fout, elle est là, mais pas entièrement, quelque chose est resté suspendu et semble retenir le poids à l’intérieur du corps, quelque chose d’un peu planant qui amortit la violence des chocs, ralentit l’intensité des chutes, quelque chose qui ne tient sans doute qu’à un fil mais dont la fibre paraît solide malgré l’usure et la décoloration des tissus.Elle se souvient que tu la serrais toujours trop fort, au début des bleus partout sur le corps, plus marqués sur les bras, les seins, les hanches, les cuisses, trop sensible aussi à la surface, alors apprivoiser lentement l’enfant sauvage, le rendre à la douceur, maintenant les traces, l’empreinte, s’inscrivent en dessous, en filigrane, mais l’encre tarde à sécher, te laisse orpheline, collectionneuse de grains de beauté sur la peau, essaimés, perdus.Et le noir et l’or et la cendre se jettent dans le fleuve sous l’incandescence du ciel, où se précipite chaque pulsation, chaque battement de ton souffle sur son cou jusqu’à l’arc retroussé de la bouche en éclosion de chaleur.Faire des bouquets de tout ça, pour rien, pour personne, juste libérer les couleurs, les parfums, effeuiller la marguerite sans altérer la corolle délicate, pour la sentir toute neuve et toute nue sous les doigts.Vivre vite, plus vite que la mélancolie, embrasser le bleu qui file de tes yeux et vient se mélanger au rouge de la bouche.Dans l’obscurité se noient les caresses en cascade dans lesquelles tu te glisses.Sans y laisser de plumes enlaces et puis oublies. Plus vite, plus vite que le battement ou la vitesse du vent.


Avoue que tu es perdu, que tu ne sais plus mettre un pied devant l’autre, d’ailleurs à ce moment précis aucun son ne peut sortir de ta gorge.Tu penses c’est loin l’enfance alors pourquoi elle me revient en pleine tronche.Violence sourde, muette, aveugle.Parviens pas à démêler.Toujours tu restes le fils, l’enfant de.Toi tu sais.Mais sans signes apparents parce-ce qu’on t’a appris à marcher en terrain miné.Maintenant tu sens à l’intérieur toutes les écorchures et leurs sutures sur le point de lâcher.N’entend plus rien des autres,ne comprend pas ce qu’ils disent là-haut à la surface, n’écoute que la musique, immergé dedans.Quelque chose qui enraye la mécanique.Sans doute à l’origine un grain de sable.Ne la regarde pas, même en douce.Observe simplement le monde dans lequel elle respire.Ecarquillés les yeux, en distorsion le coeur.Rien à craindre.les yeux ne brûlent pas, le coeur non plus.C’est juste un organe vital.Une grosse masse rouge.Trop lourde.Tu fais pas le poids.A peine j’entends le battement d’ailleurs je monte le son.Tout juste bon à tanguer, à cavaler.Et toi qui court après.Comme un con.N’aime que les baisers là où ça fait mal.Tu voudrais qu’elle t’embrasse, ici, tout de suite, puisque ça cogne, ou bien qu’elle soit hors champ, qu’elle dégage, fondue au noir.Efface méthodiquement les marques avant qu’elles deviennent visibles ou se colorent.Trace les lignes de fuite avec application, rectifie celles qui se brisent.Il y a ta volonté à laisser disparaître, à ne rien montrer, mais tu ne sais pas quoi faire de ton regard et de tes mains.Planque, détourne, évite toute confrontation.Pas question qu’elle voit.Ne flanche pas.Tu es si près du but.Si près de la perdre.Parce-que c’est ce que tu cherches non.Et puis de toute façon tu ne sais plus faire autrement.A force, tu es à la fois complètement usé et super entraîné. .Mais souvent les poumons qui te brûlent et t’oppressent.L’amnésie c’est pathologique, inatteignable, et puis ta mémoire est à vif subitement, comme le reste.Alors tu descends plus bas, plus profond.l’apnée c’est difficile, mais ça se travaille.Et cette chose qui te happe.Tu voulais pas ça, pas maintenant merde.Alors ne relâche rien, reste dur, compact,minéral.Tendu comme un arc, front buté, bouche fermée.Dans l’opacité tu te noies.A deux c’est mieux.Pulvérise.Pulvérise toi bien.Fais le max.Te rate pas surtout.

sur la bouche close le rouge de la fleur
en secret s’y glissent nos dérives colorées
se délient les pétales de velours pourpre
danse le bleu des yeux sous hypnose
en derviche les vagues sur lesquelles je me hisse
roulent les perles de givre translucides
le long des paupières en coulées fragiles
sur nos lèvres s’enlacent les baisers carmins
recueille de la langue et le miel et le sel
y déferle la blanche éclosion de lave
son écume au goût de nacre brûlante

A force d’habiter son silence, de le maintenir en vie jusqu’à l’épuisement, pour ne pas le voir s’éteindre, pour ne pas se perdre dans l’errance, elle finissait par ne plus entendre que sa seule respiration, palpitante, saccadée, fragile, plus légère qu’un bruissement d’ailes.Ici comme une sorte détention provisoire dépourvue de limite, un affranchissement de l’espace et du temps, si la distance creuse un écart, elle ne change rien, esquisse juste d’autres paysages, invente d’autres rites, d’autres lignes de fuite.A mesure qu’elle s’enfonce dans les sables brûlants à en perdre le souffle et la trace, elle étire son imaginaire jusqu’à l’infini, se hisse et s’enroule à la corde sensible, cristallise le souvenir pour s’y fondre en une dérive fluide, onirique, proche de l’ivresse.Dans la chambre close et obscure, aux teintes délavées de pourpre, se répand une onde lumineuse qui vient inonder les nacres de la peau laiteuse, les images s’animent, se délient, dansent sous ses paupières closes, comme éclairées par une lanterne magiques.Elle peut suivre mentalement du doigt les nervures bleutées, délicates, émouvantes, pour parvenir à la bouche si douce puis au désir de tremper ses lèvres dans le calice.S’égare dans l’intervalle interminable, traque le moindre rayon, tente de le retenir avant qu’il ne se dérobe, le capture par éclipse, tout en continuant de tanguer au rythme fluctuant, chaotique, du balancement interne.Quelquefois les forces lui manquent pour continuer la lutte, alors elle chavire volontairement, se laisse engloutir dans les profondeurs pour pouvoir remonter à la surface et trancher dans le vif.Le rouge électrique comme les ombres s’effacent, l’orage s’éloigne, elle savoure cette trêve inattendue pour s’abandonner au calme.Seul le parfum mélancolique de la pluie demeure sur le bout de sa langue.Se blottir presque immobile dans cette chrysalide tissée d’un fil trop mince, qui oscille dangereusement, la suspend en équilibre, fermer les yeux, prendre garde au vertige, chercher la liaison entre nuée ardente et blanche coulée de neige.La peau est lisse, pâle, comme un galet très doux poli par la violence des vagues, les écorchures demeurent invisibles à l’exception d’une minuscule et presque imperceptible étoile de mer.L’empreinte dessine son tatouage de l’intérieur, clandestinement, grains de beauté secrets, étrange entrelacs de fleurs sauvages et de serments incisés en fines lanières, comme une mémoire à l’encre bleue qui se répand, se dilue en d’indéchiffrables constellations, mais ne s’efface pas.Le lierre grimpe, l’envahit peu à peu, la maintient prisonnière, pénètre par toutes les pores et recouvre la moindre parcelle intacte.La vision devient fractale, le contour irrégulier, la ligne se brise, mais la pupille demeure fixe et tendue vers l’horizon.A force d’y brûler son regard, le ciel lentement se déchire, l’étoile s’irise en multiples reflets et de la toile calcinée se révèle une mince coulée d’or.

Les yeux sont trop grand ouverts

Ils regardent sans voir

Ils voient ce qui a été

et ce qui n’est pas encore là

Ils voient le fracas du bleu

qui vole en éclats

comme un flash-back en plan ralenti

dans un écho qui se prolonge

en boucle et variations infinies

Le temps réel semble suspendu

ou simplement hors d’atteinte

Surex ou bien sous-ex

ils ont perdu la capacité d’appréhender le monde

L’iris s’est noyé dans la vague

tandis que la pupille

est maintenue prisonnière des fragments

D’où la sensation de vertige

de temps vertical

L’impossibilité de trouver un point fixe

Chevilles fines poignets fragiles, la démarche reste souple, seul le regard se brise et dérive en ombres chinoises sur la bouche et les traces encore fraîches, sur le corps à l’empreinte vive, et jusque dans la chambre où flotte le parfum des roses.Elle a fermé les yeux, tenté de retenir le souffle et les larmes, mais la vague a déferlé, vibrante de douleur et d’amour contenus.Il a caressé son visage, de ce geste originel qui l’a toujours si profondément troublé entre douceur et impudeur, puis l’a prise par la main pour la faire basculer sur ses genoux, elle s’est abandonné entièrement au bonheur fragile de se serrer de nouveau contre lui.Les yeux un peu perdus se regardent vraiment, les bouches se rejoignent pour ne plus se lâcher, les mains parcourent, enlacent, saisissent, connaissent tous les chemins.Il y a cette mémoire du moindre grain de peau, des pleins, des déliés, des courbes et des creux.Les corps eux, ne répriment rien, n’ont pas besoin de réapprivoiser, ils explorent un territoire à la fois étrange et familier, après l’éloignement et le chaos.Dans l’amour, il est là, avec elle, en elle, l’embrase de son désir, puis recommence, la prend une seconde fois, dans la jouissance victorieuse d’une sublime défaite.Mais dans l’absence, elle ne sait plus où ils sont, l’un et l’autre, trop paumés, trop brûlés.Elle ne veut pas s’égarer dans le silence mais y trouver un espace nu, une respiration.Il y a eu tant de douce fusion, d’enchantement et d’absolu entre eux, qu’elle ne sait pas faire autrement. La première rencontre, les premiers regards et les gestes qui en découlent imprègnent sans doute à jamais l’histoire.Elle sait qu’il se souvient, que les émotions anciennes sont toujours vivantes à l’intérieur mais différentes, désormais retenues, éparses, fragmentées, fluctuantes, en exil.Dans cette longue traversée souterraine, une lueur ici se révèle.Elle sait que son corps n’oublie rien et ne résiste pas même si le reste s’y refuse ou renonce.Elle sait que la musique existe toujours en filigrane.Elle ne regrette rien de ce goût retrouvé comme un éclat de lune dans la nuit.La lumière dans le clair-obscur demeure sur sa peau, y dessine un nouveau tatouage qui ressemble à son sourire, rayonnant et triste à la fois, un sourire qui ne sait pas mourir.Elle peut juste tenter de s’échapper, courir de toutes les forces qui lui restent, sans savoir où elle va, puisqu’elle a épuisé tous les terrains vagues, tous les no man’s lands, toutes les zones grises, alors où peut-elle encore aller, si ce n’est vers lui.